Radio Canada (9 October 2024)

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Changer le sort des tortues en péril

Texte : Nelly AlbérolaPhotos et vidéos : Félix Desroches

Publié le 9 octobre 2024

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La tête en l’air, humant toutes ces odeurs nouvelles, la petite tortue ne bouge presque pas. Elle semble apprécier le moment. La rivière des Outaouais devant elle doit lui paraître immense, et pourtant, l’eau l’attire. Elle avance d’un pas, puis s’arrête. Elle hésite encore un peu avant de s’élancer complètement. Elle est de retour à la maison.

Une petite tortue qui nage vers un poisson.

L’instant est parfait : magique et en même temps si simple qu’il en bouleverse Marc Bourgeois, un habitué de l’île Petrie, une aire de conservation située à Orléans, dans la banlieue d’Ottawa. Je viens souvent prendre des marches le matin ou tard l’après-midi… Tu vois toujours des tortues, mais tu ne réfléchis pas au cycle de la vie dans la région. En participant à cette libération de tortues, ça te rend plus conscient de l’environnement et de ton rôle à jouer.

Cet été, plus de 350 bébés tortues ont été libérés, remis à l’eau près de là où ils avaient été récupérés une soixantaine de jours auparavant à l’état d’œuf. Il aura fallu des mois de travail et le combat d’une poignée de bénévoles et de scientifiques déterminés à sauver les espèces de tortues en danger, dont seulement 1 % des individus se rendront à l’âge adulte.

Gros plan d'un oeuf de tortue dans le creux d'une main.

 Photo : Radio-Canada / Nelly Albérola

À la recherche des œufsÀ la recherche des œufs

Retour au printemps 2024. Le téléphone du jeune Mason Laforest sonne. Deux tortues géographiques ont été aperçues près d’un des stationnements de l’île Petrie. Il faut faire vite. À cette période de l’année, les soirées sont agréables, et les couchers de soleil splendides attirent les visiteurs.

L’étudiant en environnement forestier et faunique au collège La Cité d’Ottawa ne fait ni une ni deux et prend la route.

Du mois de juin à la fin août, ce passionné de plein air au regard tendre caché sous sa casquette est à la tête du programme Tortues de l’association bénévole Les Amis de l’île Petrie. C’est un travail que le jeune homme de 22 ans prend très au sérieux; au moindre signalement, il agit.

Sur place l’attend son employeur, Michael Ricco. Le retraité est un amoureux de l’île et de sa biodiversité. Il porte souvent des habits longs et des bottes de pluie, preuve s’il en faut de sa connaissance du terrain humide. Son foulard tubulaire autour du cou, son chapeau de paille sur la tête et son sac en bandoulière lui donnent un air d’aventurier naturaliste.

Un homme debout dans un sentier au milieu d'une forêt.

 Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Avant même de devenir le président des Amis de l’île Petrie, ce photographe amateur passait déjà une bonne partie de ses journées à parcourir l’île à la recherche d’une beauté de la nature à immortaliser, d’une vie animale à observer.

Chaque printemps, les bénévoles et lui ont une priorité : trouver et protéger les tortues et leurs nids.

Ce soir-là, Michael est tout seul et n’a rien d’autre que son engagement envers les animaux pour empêcher les deux reptiles de se faire écraser.

Une famille venue profiter de la plage en cette belle journée ensoleillée décide de lui prêter main-forte.

Des tortues sur une bûche au milieu d'un lac.
Des panneaux de circulation sur le bord d'une route.

La mère et les enfants sont restés avec l’une des tortues; le père et moi, avec l’autre, raconte le naturaliste, encore surpris de cette aide inespérée. Ensemble, en pleine heure de pointe, ils obligent les conducteurs à se stationner plus loin. On ne voulait pas non plus que les visiteurs, même à pied, s’approchent trop des tortues, car plus vous interagissez avec elles, plus elles se déplacent.

Après plus d’une heure d’exploration, les deux tortues finissent par s’installer dans l’endroit tant recherché, celui qu’elles retrouvent année après année pour y creuser leur nid et pondre.

Toute leur énergie y passe. En cet instant, qu’importent le trafic routier, le public ou le soleil couchant, elles n’ont qu’un seul objectif : déposer leurs œufs et faire en sorte qu’ils soient le plus en sécurité possible.

Leur instinct maternel s’arrête là. Après la ponte, elles abandonneront leur nid.Début de la liste Mosaïque de 5 éléments. Passer la liste?

Un tortue vue de dos.
Un homme à genoux par terre qui creuse un trou avec sa main.
Un nid de tortue sur le bord d'une route.
Gros plan d'un oeuf dans un nid de tortue.
Un homme à genoux par terre qui a une main placée dans un nid de tortue.

Fin de la liste Mosaïque de 5 éléments. Retour au début de la liste?

Mason rejoint Michael avec de simples contenants en plastique remplis d’un peu de sable et d’une feuille de papier, sur laquelle le jeune étudiant en sciences, rigoureux, inscrit immédiatement quelques informations importantes : la date, l’heure, l’espèce des tortues, l’emplacement et l’orientation des nids.

Il ne reste qu’à attendre que les tortues rebouchent le nid. Mais le président de l’association veille, parce qu’il le sait : rien n’est encore joué. Cette saison, j’ai dû me mettre physiquement entre une tortue qui pondait et deux ratons laveurs prêts à bondir, raconte-t-il, un peu fébrile.

Michael est un homme calme, réfléchi. Il se dit privilégié d’être le simple témoin d’une biodiversité incroyable. Mais si le vivant est menacé, l’observateur devient combattant.

Des restes d’œufs de tortue.

 Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

« Sur l’île Petrie, on estime que 95 % des nids sont victimes des prédateurs. »— Une citation de   Mason Laforest, responsable du programme Tortues pour Les Amis de l’île Petrie

Les œufs de tortue sont un mets de choix pour bon nombre de prédateurs terrestres tels que les mouffettes, les renards et, bien sûr, les ratons laveurs. Il ne leur faut que quelques minutes pour aspirer l’intérieur des œufs, ne laissant derrière eux que des coquilles vides.

De nature discrète, Mason, qui a déjà été moniteur du parc, reste pragmatique face au triste constat : C’est un spectacle que l’on voit tous les jours durant la période de ponte. Les vestiges des carnages passés s’étalent, laissant des centaines d’œufs lacérés sur la plage, comme d’anodins petits bouts de plastique blanc.

Trois personnes, deux hommes et une femme, sont assises sur un tronc d’arbre devant une étendue d’eau.

 Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Un coup de main nécessaire

Michael Ricco est encore ému lorsqu’il repense au sauvetage de la soirée et au dévouement de cette famille restée sur les lieux jusqu’à 21 heures passées pour protéger deux tortues en plein travail.

Cette année, une quarantaine de personnes se sont engagées auprès des Amis de l’île Petrie pour rechercher tortues et nids en cette période de ponte allant de mai à juillet.

Pendant de longues heures, le matin et surtout le soir, les bénévoles arpentent les plages, longent les bords de rivière, scrutent les environs, des semaines durant. On ne pourrait rien faire sans eux, insiste Michael, reconnaissant.

« Il y a quelque chose chez les tortues que les gens adorent. Peut-être parce qu’elles sont vulnérables. […] C’est dans notre ADN de les aimer! »— Une citation de   Michael Ricco, président des Amis de l’île Petrie

Cette île située à l’est d’Ottawa est privilégiée puisqu’il est possible d’y observer jusqu’à cinq espèces différentes de tortues : la serpentine, la géographique, la peinte, la mouchetée et la musquée. Les plus communes restent toutefois les trois premières citées. Elles sont reconnues comme ayant un statut préoccupant par le gouvernement fédéral, ce qui leur procure une certaine protection au regard de la Loi sur les espèces en péril.Une tortue qui marche sur du sable.Aller à l’image 0

Le Canada compte aujourd’hui 10 grandes espèces de tortues. Toutes sont en péril ou comprennent une population ou une sous-espèce en péril.Une grenouille sur une branche dans une étendue d'eau.Aller à l’image 1

L’organisme communautaire Les Amis de l’île Petrie a été créé en 1997 par le défunt Orléanais Al Tweddle.Une tortue sur une bûche dans le milieu d'un lac.Aller à l’image 2

À sa création, le groupe Les Amis était une « bande de jeunes retraités » issue du sous-comité des sentiers de l’association communautaire de Queenswood Heights.Un grand panneau d'affichage sur le bord d'un sentier qui mène à une forêt.Aller à l’image 3

La mission des Amis a toujours été l’aménagement d’installations de loisirs passifs et la conservation du secteur ouest de l’archipel et de sa biodiversité, y compris les tortues.

1/ de 4Le Canada compte aujourd’hui 10 grandes espèces de tortues. Toutes sont en péril ou comprennent une population ou une sous-espèce en péril. Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

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  • Image 1 de 4 : Une tortue qui marche sur du sable. Le Canada compte aujourd’hui 10 grandes espèces de tortues. Toutes sont en péril ou comprennent une population ou une sous-espèce en péril. Radio-Canada / Félix Desroches.Une tortue qui marche sur du sable.
  • Image 2 de 4 : Une grenouille sur une branche dans une étendue d’eau. L’organisme communautaire Les Amis de l’île Petrie a été créé en 1997 par le défunt Orléanais Al Tweddle. Radio-Canada / Félix Desroches.Une grenouille sur une branche dans une étendue d'eau.
  • Image 3 de 4 : Une tortue sur une bûche dans le milieu d’un lac. À sa création, le groupe Les Amis était une « bande de jeunes retraités » issue du sous-comité des sentiers de l’association communautaire de Queenswood Heights. Radio-Canada / Félix Desroches.Une tortue sur une bûche dans le milieu d'un lac.
  • Image 4 de 4 : Un grand panneau d’affichage sur le bord d’un sentier qui mène à une forêt. La mission des Amis a toujours été l’aménagement d’installations de loisirs passifs et la conservation du secteur ouest de l’archipel et de sa biodiversité, y compris les tortues. Radio-Canada / Félix Desroches.Un grand panneau d'affichage sur le bord d'un sentier qui mène à une forêt.

Outre des permis de la Fédération canadienne de la faune et autres autorisations ministérielles nécessaires pour déplacer des espèces en péril, une formation est aussi requise pour manipuler correctement les œufs.

Brooke MacIsaac fait partie de ces personnes privilégiées. L’étudiante en biologie de l’Université Carleton d’Ottawa a été formée par Mason Laforest.

Tout sourire, la jeune femme se remémore avec enthousiasme la première fois qu’elle a sorti un œuf de terre. J’étais très impatiente, mais aussi tellement nerveuse!

« Ce n’est pas dur comme une coquille d’œuf de poule. Il faut faire très attention lorsqu’on les sort du trou, notamment si le nid est tout récent, car les œufs seront particulièrement mous. »— Une citation de   Brooke MacIsaac, bénévole, programme Tortues des Amis de l’île Petrie

Un soir de juin, quatre tortues géographiques pondent les unes à côté des autres. Brooke et Mason observent leur dur labeur. Le nombre d’œufs par nid dépend des espèces, explique le jeune chef de projet franco-ontarien. Il veut être le plus précis possible. Les tortues géographiques, par exemple, pondent entre 10 et 15 œufs, alors que les tortues serpentines peuvent en pondre une cinquantaine. Cette année, nous en avons même récolté 60 dans un seul nid!

Vidéo verticale – Ottawa-Gatineau

Un jeune scientifique retrouve des oeufs dans un nid de tortueMason Laforest creuse la terre, concentré, en prenant soin de ne pas abîmer des oeufs de tortues. Photo : Radio-Canada / Nelly Albérola

Une fois les tortues parties, les jeunes scientifiques se mettent au travail. Les deux genoux au sol, tels des archéologues du vivant, ils creusent la terre, concentrés, en prenant soin de ne pas endommager la précieuse découverte.

Je vais juste faire le trou un peu plus gros pour que ce soit plus facile à ramasser, murmure Mason. Le moment est mal choisi pour le déranger. Le travail est délicat et minutieux.

Il faut les garder dans le même angle que celui dans lequel ils ont été mis dans le nid, explique l’étudiant en déposant un petit œuf blanc translucide et ovale sans geste brusque dans la boîte. Il y a une petite poche d’air dans l’œuf, et si tu la bouges, la tortue risque de ne pas se développer.

En une seule soirée, 40 œufs ont été récupérés. Ils seront les derniers de la saison. Avec ceux-là, nous avons un total de 427 œufs : 233 de tortues serpentines, 143 de tortues géographiques et 45 de tortues peintes. L’incubateur est plein! annonce Mason, une fois le devoir accompli. Nous aurions préféré plus de tortues géographiques, car c’est la plus en danger présentement sur l’île Petrie, mais bon.

Un œuf de tortue sous la lumière.

 Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Bien au chaud… dans le frigo

Une fois les boîtes pleines d’œufs, direction Ottawa, plus précisément à la Maison riveraine de la Commission de la capitale nationale, un bâtiment patrimonial centenaire. C’est ici, dans le laboratoire de l’organisme environnemental Garde-rivière des Outaouais, que les bébés tortues verront le jour.

Tout est d’un blanc étincelant, rangé, contrôlé, malgré divers contenants qui s’entassent sur le comptoir central. Le laboratoire est en partie vitré, ce qui permet aux visiteurs de voir les scientifiques au travail.

Les deux aquariums vides installés sur le côté devront attendre avant d’être remplis, car les œufs sont bien à l’abri dans l’instrument le plus important de la pièce : l’incubateur.

Deux hommes debout dans un laboratoire.
Un homme qui dépose dans pots contenant des oeufs de tortue dans un incubateur.

Le projet collaboratif avec Les Amis de l’île Petrie, lancé en 2023, a été initié par Malcolm, indique Larissa Holman. La directrice Sciences et Politique de l’organisme Garde-rivière des Outaouais fait référence à Malcolm Fenech, un jeune spécialiste des tortues, intarissable sur leur cycle de vie et les moyens de les conserver.

Aujourd’hui biologiste de profession, le scientifique plein d’assurance chaussait les souliers de Mason Laforest jusqu’à l’année dernière. Les Amis de l’île Petrie faisaient déjà depuis des années un très gros travail de protection des nids avec des cadres grillagés et des cônes de signalisation. Mais ces systèmes ont leur limite, souligne Malcolm Fenech, qui a eu l’idée du fameux incubateur.

Un homme souriant qui pose dans un laboratoire.

 Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Au premier abord, ce petit frigo ressemble à un simple minibar, avec ses deux étagères et sa porte vitrée. Pourtant, grâce à lui, les œufs vont pouvoir être surveillés efficacement pendant deux mois.

Malcolm a beau vivre désormais en Nouvelle-Écosse, il n’a pu s’empêcher de venir quelques jours pour prendre des nouvelles de l’avancée des travaux. Il reste, après tout, le biologiste-conseiller du programme Tortues de l’île Petrie.

La seule présence du biologiste suffit à rassurer Mason, qui poursuit ses explications : Il maintient une température idéale de 28 degrés Celsius le jour et de 26 degrés la nuit, ce qui devrait nous permettre d’obtenir 60 % de femelles et 40 % de mâles.Des petites tortues qui viennent d'éclore.Les œufs de tortues n’ont pas tous la même forme : s’ils sont ovales, ce sont des tortues peintes ou géographiques; s’ils sont ronds comme des balles de ping-pong, ce sont des tortues serpentines. Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Comme c’est le cas pour d’autres reptiles, c’est la température qui détermine le sexe des tortues. C’est mon “fun fact” préféré!, lance Elizabeth Lacroix, dit Libby, avec entrain.

La jeune finissante en sciences de l’environnement de l’Université d’Ottawa a travaillé ces deux derniers étés comme assistante pour la qualité de l’eau et assistante en sciences pour Garde-rivière des Outaouais. J’ai passé beaucoup de temps, l’an passé, dans le laboratoire à m’occuper des tortues avec Malcolm. Aujourd’hui, c’est Mason qui fait la majorité du travail, et j’aide pour tous les besoins, dit l’infirmière des tortues.

Et des besoins, il y en a.

Dès leur arrivée au laboratoire, les œufs sont numérotés et transférés, sans que soit modifiée leur position, dans de nouveaux contenants, troués par endroits et remplis d’un mélange d’eau et de vermiculite, un minéral argileux. Ça aide au drainage, explique Mason. Trop d’eau risquerait d’endommager les œufs. Grâce à ce mélange, l’humidité est présente et l’eau ne reste pas au même endroit.

Gros plan D'une personne qui dépose des oeufs de tortue dans un contenant.
Gros plan d'une personne qui écrit des numéros sur des oeufs de tortue avec un crayon.

Ce travail, les scientifiques devront le faire pendant un peu plus de deux mois, jusqu’à l’éclosion des œufs. C’est beaucoup de travail, mais aussi beaucoup d’apprentissages, insiste la directrice Larissa Holman, en ajoutant que ça permet également de mieux comprendre les tortues qui vivent dans [la] rivière et leurs difficultés, mais aussi de faire de la sensibilisation auprès de la population.

Cet été, plus de 580 personnes se sont massées devant les vitres du laboratoire, lors de deux journées portes ouvertes, afin d’admirer les petites tortues barbotant, enfin, dans leurs aquariums. C’est la partie préférée des gens, indique Libby Lacroix.

Un bébé tortue sort de son œuf.

 Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Un premier regard sur le monde

Les premières tortues ont pris toute l’équipe par surprise en apparaissant plusieurs jours avant terme. Dès la fin du mois de juillet, certains œufs ont commencé à se craqueler.

Pour casser sa coquille, une tortue se sert de son diamant, dit aussi dent de l’œuf, qui disparaît au bout de quelque temps. La sortie à proprement parler peut prendre plusieurs jours.

Une fois complètement hors de l’œuf, les bébés tortues sont transférés dans un aquarium où l’on a mis un peu d’eau. On les garde encore de deux à trois jours avant de les relâcher dans la nature.

Avec délicatesse, Mason prend une tortue nouvellement née et la retourne pour vérifier un point bien précis sur son plastron : son sac vitellin, ou yolk sac en anglais. Certaines ne l’ont pas complètement résorbé, ce qui peut être une difficulté, précise-t-il.Gros plan d'une personne qui tient une petite tortue dans sa main. On voit le dessous de la tortue.Le sac vitellin, dit aussi «yolk sac», est l’équivalent du placenta chez les mammifères. C’est grâce à lui que les tortues se nourrissent dans l’œuf. Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

S’il y a un trou ou s’il se détache, il pourrait y avoir une infection. On va faire ce qu’on nomme des “burritos”, s’amuse l’étudiant prévoyant. Elles vont pouvoir finir d’absorber tout leur sac avant d’être mises à l’eau.

Vue de haut d'une petite torture qui cache sa tête.

 Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Burrito de tortues

  • Prenez deux feuilles de papier essuie-tout mouillées avec de l’eau propre.
  • Mettez-y la tortue ayant encore son sac vitellin.
  • Emmaillotez la tortue sans trop serrer.
  • Placez le burrito dans le contenant avec les autres tortues.
  • Laissez reposer la tortue emmaillotée quelques jours jusqu’à l’absorption complète du sac vitellin.

Si les tortues géographiques pèsent autour de 8 grammes, et les serpentines entre 10 et 12 grammes, les tortues peintes ne dépassent pas les 4 grammes à la naissance. L’une d’entre elles pesait 3 grammes à peine, se souvient Mason Laforest, attendri. Elle avait tellement de misère à nager qu’il a fallu la mettre sur des algues pour qu’elle puisse être stable et qu’elle s’habitue à son nouvel environnement.

De nouvelles tortues naissent chaque jour du mois d’août. Certaines n’ont que quelques heures, mais elles montrent déjà leur personnalité propre.

Une petite tortue géographique.
Une petite tortue peinte.
Des petites tortues serpentines.

Les tortues géographiques, celles qui ont des lignes sur leur carapace, sont, pour beaucoup, considérées comme les plus mignonnes. Elles sont un peu gênées, mais aiment bien jouer quand même, et c’est vrai qu’elles sont vraiment drôles, surtout quand elles nagent. Le visage de l’étudiant s’illumine. Elles ne se sont pas beaucoup exercées avant d’être libérées, elles ressemblent à des chiens qui nagent, une patte à la fois! Par contre, elles peuvent être vraiment têtues et ne pas vouloir aller à l’eau… Ce sont les plus difficiles à relâcher.Une petite tortue géographique.Une petite tortue géographique Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Puis il y a les plus petites, très timides : les tortues peintes, poursuit Mason. La connaissance d’autant de détails révèle sa passion pour ces fragiles reptiles. Elles ont de très belles couleurs rouge ou orange sur leur plastron, et du jaune, aussi, sur les oreilles et sur la tête. Elles sont si petites, à ce point-ci, que la moindre infection pourrait signer leur fin.Une petite tortue peinte.Une petite tortue peinte Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

« Les serpentines, celles, rugueuses, qui ont l’air de dinosaures, aiment bien jouer dur, relève Mason en riant. C’est chez elles qu’on note le plus de tortues accidentées. On les sépare des autres, car elles pourraient leur créer des problèmes rien qu’en voulant jouer. »

Animal préhistorique, la tortue serpentine est une espèce qui n’a pas changé depuis 200 millions d’années.Des petites tortues serpentines.Des petites tortues serpentines Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Un bébé tortue se dirige vers l’eau.

 Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

De retour chez elles

Après quelques jours passés dans les aquariums, il est l’heure pour les petites tortues de retourner chez elles, sur l’île Petrie. Les emplacements précis des sites de ponte avaient été notés afin de déposer chaque tortue sur le bord de l’eau le plus proche de son nid.

Le public peut assister à ces libérations selon un calendrier déterminé à l’avance. Une activité que Les Amis de l’île Petrie ont toujours réalisée, même si l’attrait pour l’événement s’est accentué ces dernières années. On est victimes de notre succès, lance une bénévole. Plus de 600 personnes se sont enregistrées pour l’une des 15 libérations de l’été… Et autant sont sur une liste d’attente.Gros plan d'une main qui dépose une petite tortue sur le bord d'une étendue d'eau où se trouvent d'autres tortues.La carapace d’une tortue est pourvue de terminaisons nerveuses, ce qui fait qu’elle peut réellement percevoir qu’elle est touchée. Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Marc Bourgeois et sa fille Justine font partie des heureux élus. Vivant à quelques kilomètres seulement de l’île Petrie, ils assistent à la première libération de la saison. Elles ont tellement de bonnes petites faces! s’exclame Justine en mitraillant de photos les bébés tortues géographiques.

Quel que soit l’âge des spectateurs, le charme du petit animal fait son effet, chacun y allant de Rhooo!Trooooop mignonnes! et autres T’as vu? Regarde! émerveillés dès que l’une des stars du jour se met à bouger de façon maladroite.

Est-ce que chacune a son propre modèle sur sa carapace, un peu comme notre empreinte digitale?, demande Marc. Est-ce que la couleur détermine le sexe, comme chez certains oiseaux? Mason répond comme il peut aux multiples interrogations de la quinzaine de personnes présentes.

Des personnes penchées sur le bord d'une plage. Ils observent des petites tortues.
Une petite tortue qui marche sur une plage durant un coucher de soleil.
Une femme qui prend une photo d'un pot qui contient des petites tortues.
Des petites tortues dans un grand contenant.

Une à une, les tortues sont déposées sur le bord de l’eau, après que les bénévoles ont pris soin de faire fuir tous les batraciens un peu trop curieux.

Un jour, une grosse grenouille-taureau en a directement attrapé une, raconte nonchalamment Mason devant un public figé, soudainement bouleversé. Elle n’a pas eu le temps de l’avaler, car un homme présent ce jour-là l’a pognée pour lui faire recracher la tortue! Encore sous le choc de l’anecdote, le petit groupe, méfiant, porte alors un tout autre regard sur les grenouilles et autres menaces vivant dans les environs.Une grenouille dans une étendue d'eau.Les grenouilles, mais aussi les hérons et les brochets, sont des prédateurs naturels des bébés tortues. Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Il faudrait pourtant laisser faire la nature. C’est ainsi qu’[elle] fonctionne, rappelle Malcolm, de sa voix forte et engagée. La passion du biologiste pour les tortues n’obstrue pas sa vision de scientifique. Nous savons qu’elles ne survivent pas toutes. Peut-être qu’elles mourront juste après avoir été relâchées.

Les irréductibles passionnés veulent déjouer les statistiques grâce aux solutions mises en place. Nous espérons qu’environ de 10 à 20 % d’entre elles atteindront l’âge adulte, avance Malcolm Fenech avec conviction.

Une tortue sur une plage.

 Photo : Radio-Canada / Olivier Plante

« Il ne s’agit pas d’augmenter les populations de tortues, mais de maintenir celles que nous avons ici. »— Une citation de   Malcolm Fenech, biologiste-conseiller du programme Tortues de l’île Petrie

Au cours des dernières années, le scientifique a recensé annuellement plus d’une centaine de nids sur l’île Petrie. Mais tous les œufs ne peuvent être sauvés. Il faut en laisser également pour nourrir les autres espèces, c’est une question d’équilibre, rappelle Malcolm, tout en précisant qu’il y a tout de même beaucoup de prédateurs sur l’île. Plus que la normale, du fait de l’intensification de l’urbanisation alentour.

Protégées jusqu’à quand?

Mason Laforest se veut rassurant. Une fois matures, les tortues n’ont pas tant de prédateurs que ça… autres que les autos.

Le constat est unanime auprès de toutes les autorités publiques : malgré tous les dangers qui les entourent, avant ou après leur naissance, l’ennemi principal des tortues reste l’humain. La mortalité routière et la destruction de leurs habitats naturels sont les premières causes de déclin des espèces au pays, comme ici, dans l’Est ontarien.

À l’origine, l’île Petrie n’était pas le seul lieu de tortues, souligne Larissa Holman, refusant de minimiser notre part de responsabilité. Elle l’est devenue à cause de l’urbanisation des bords de la rivière des Outaouais, ce qui a poussé les tortues vers l’une des seules places restantes dans la région pour la ponte. La partie ouest de l’île est aujourd’hui un vrai sanctuaire.

La scientifique s’inquiète d’un autre phénomène, qui n’épargne personne : les changements climatiques. Plus les habitats sont chauds et moins les nids survivent, déplore-t-elle. Qu’une saison soit exceptionnellement plus chaude, passe encore, mais l’augmentation de la température, un peu plus chaque année, joue directement sur la survie de l’habitat. À long terme, toute espèce peut s’adapter. Mais pas en aussi peu de temps.Une tortue sur une bûche dans le milieu d'une étendue d'eau.Une tortue a atteint l’âge adulte lorsqu’elle est sexuellement mature. Selon les espèces, cela peut prendre de 3 à 20 ans. Photo : Radio-Canada / Félix Desroches

Malgré les constats et les statistiques peu réjouissantes, toutes les personnes rencontrées gardent confiance en l’avenir. Les gens impliqués dans ce projet sont passionnés; ils ont vraiment l’envie d’aider. C’est une raison d’être optimiste, veut croire Larissa, elle-même très engagée dans la protection de la rivière des Outaouais et de ses habitants.

Michael Ricco partage ce sentiment. Le président des Amis de l’île Petrie ne cache pas son admiration pour ces jeunes étudiants prêts à oublier leurs vacances pour s’investir dans le programme, au-delà du travail pour lequel ils ont été embauchés. Je ne suis pas sûr que j’aurais été comme Mason quand j’avais 20 ans, reconnaît volontiers le retraité.

Sur les 427 œufs ramassés au cours de l’été 2024, 354 petites tortues ont pu être remises en liberté. Soit, tout de même, 83 % de survie.

Même si une seule des tortues que nous libérons arrive à maturité, il se peut qu’elle ponde jusqu’à 100 œufs dans sa vie. C’est en augmentant leurs chances de devenir adulte qu’on aidera les tortues de l’île Petrie, conclut Mason, plein d’optimisme. Avec raison.

Une petite tortue qui sort sa tête du sable sur une plage. Photo : Radio-Canada / Olivier Plante

  • Journaliste : Nelly Albérola
  • Photographies et vidéos : Nelly Albérola, Félix Desroches et Olivier Plante
  • Édimestre : Simon Blais
  • Designer : Émilie Robert
  • Développeur : Cédric Édouard
  • Édition : Marylène Têtu
  • Réviseure : Josée Bilodeau
  • Cheffes de projet : Marie-Christine Daigneault et Marylène Têtu